234# Les temps du bonheur

J’ai choisi le titre « Les temps du bonheur » suite au podcast de la semaine dernière intitulé «Les pouvoirs du SI ». Sophie y a posté un commentaire qui a motivé le podcast d’aujourd’hui. Elle écrit « Merci Pascal. Dans ton podcast, j’ai été marquée par le caractère éphémère du présent que tu dis suspendu dans le temps et faisant déjà partie du passé pendant le déroulement de l’événement. Je trouve que cette prise de conscience n’est pas facile à intégrer. Est-ce que ça pourrait vouloir dire que le présent compte beaucoup moins finalement ?».

Une aubaine à saisir

Je pense que la question de Sophie mérite un vrai développement. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, nous nous arrêterons sur les temps du bonheur ; le passé, le futur et le présent. Ça nous permettra de mieux savoir comment accueillir ces trois temps et leur mission respective. Ce sera l’occasion d’apprendre à mieux créer notre bonheur.

Avant de me lancer sur le sujet, je voudrais remercier Sophie pour son commentaire. De plus, si vous voulez poser des questions dans les commentaires des podcast et que j’estime, comme c’est le cas aujourd’hui, que votre question, peut faire l’objet d’un podcast, je me ferais un plaisir de le faire, même si je vous réponds, ne serait-ce que partiellement, au commentaire posté, bien entendu.

Pourquoi Sophie pose-t-elle cette question

Ce qui a amené Sophie à poser cette question, c’est que dans le podcast de la semaine dernière, j’ai écrit ceci : « « Je ne peux rien changer au présent, parce qu’en réalité, si je prends la mesure rationnelle de ce qui se passe, l’événement présent, au moment où il se déroule, fait déjà partie du passé. Ça veut dire que ce que je suis en train de vous dire là, maintenant est déjà dans le passé. Vous voyez que le présent est suspendu à rien.

C’est vraiment aidant de prendre la mesure du fait que les événements ne sont pas modifiables. Nous pouvons ainsi intégrer que, pour se libérer, mieux vaut accepter les choses telles qu’elles sont ». Ça fait drôle de se citer soi-même :-).

Quand Sophie écrit « Est-ce que ça pourrait vouloir dire que le présent compte beaucoup moins finalement ?», elle emploie un comparatif en écrivant « beaucoup moins…». Peut-être qu’elle sous-entend, beaucoup moins que le passé ou le futur ? 

Alors, avant de répondre à la question, ou plutôt, pour mieux y répondre, je pense qu’il est judicieux de s’arrêter sur les trois temps en question, à savoir le passé, le futur et le présent. Ainsi, nous pourrons mieux les comprendre. 

Définissons les trois temps du bonheur

Bien entendu, vous en avez tous une définition. Ça s’apprend à l’école, avec nos parents. On sait que quand nos parents nous disaient « dans un dodo, tu verras papi et mamie », ou, « après trois dodos, on ira au cirque », ou encore, « c’était hier ton anniversaire », avec la difficulté à faire comprendre à l’enfant que l’événement est terminé, il nous plaçaient dans l’un des trois temps.

3 temps

Afin de vous donner une définition, je vais me tourner, de manière scolaire, vers le dictionnaire, Larousse, qui propose : « Ensemble des faits, des événements qui ont eu lieu avant le moment présent, la période actuelle et qui constituent l’histoire ». 

Je trouve assez intéressant, et en même temps interpellant, de constater que la définition du futur et du présent, dans le même dictionnaire, Larousse, ne se fondent pas sur la définition du passé. Il propose une très grande différence.

L’aviez-vous remarqué ? En effet, pour le futur, le Larousse propose « se dit d’un temps, d’une période à venir, de ce qui se produira dans le temps ». Vous notez la différence ? Et pour le présent, il écrit « qui se trouve dans un lieu déterminé, en se fondant, essentiellement sur un événement ». 

Une différence de définition étonnante

Pourquoi une telle disparité de définitions avec ces trois mots qui, finalement, sont de la même famille, comme des collègues ou des collaborateurs (avec l’étymologie de collaborateurs qui signifie qui travaillent ensemble). 

Le Larousse corrigé selon Pascal

Alors, je me suis permis de vous donner la définition du dictionnaire Larousse pour le passé et d’adapter cette même définition pour le futur et le présent que j’ai choisi d’adosser à la même structure pour plus de clarté. 

Pour le futur, cela donne : « Ensemble des faits, des événements qui auront lieu après le moment présent, la période actuelle et qui constitueront l’histoire ». 

Pour le présent, « ensemble des faits, des événements qui ont lieu à l’instant, pendant la période actuelle, et qui constitueront l’histoire ».

Un parallélisme éclairant de contrastes

Vous voyez le parallélisme qui était potentiellement envisageable dans le dictionnaire, et qui pourrait, ou aurait pu, faciliter le contraste de compréhension entre ces trois temps. Travailler ainsi pourrait être assimilé à un lacune herméneutique. Pour ma part, la manière dont le dictionnaire a donné sa définition semble ne pas être cohérente, ne suivant pas la même règle d’interprétation.

Je n’irai pas secouer les académiciens, dont je ne ferai jamais partie et dont je n’arrive pas à la cheville. Je voulais juste, toutefois, souligner cette apparente incohérence qui, pour ma part, complique quelque peu la lecture de ces trois temps. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi trois définitions qui s’adossent l’une à l’autre, permettant de mieux voir le contraste.

En conséquence, dans les trois cas, il s’agit de l’ensemble des faits, des événements qui, soit ont eu lieu, auront lieuont lieu (respectivement) avant, après ou pendant le moment présent. Ça facilite vraiment la capacité à définir ce que sont le passé, le futur et le présent.

Je reviens sur le passé, en me focalisant sur ce dernier avant de développer davantage le futur et le présent.

Je rappelle que l’on est dans cette première partie qui consiste à parler des trois temps avant de s’arrêter sur les missions de ces derniers.

1) Le passé 

Nous venons de définir le passé. Je trouve intéressant d’entendre que, dans le domaine de la danse, et spécifiquement en chorégraphie, le passé est le « Temps de préparation à un pas plus important ou temps d’élan à un saut ou à un tour ». Cela pose bien les choses avec le début d’une signification symbolique du passé. Il s’agirait donc d’un temps de préparation qui peut servir à quelque chose. Certes, on ne peut plus le changer, mais on peut l’utiliser comme nous le verrons un peu plus loin.

Je voudrais juste mentionner, un article que j’ai lu dans le magazine en ligne Psychologies, qui fait état d’une interview avec Patrick Estrade, entre autres, psychothérapeute. Il écrit : « Les bons souvenirs sont « le jardin de notre mémoire », explique Patrick Estrade, psychothérapeute. Dès lors, « comme une fleur qu’il est nécessaire d’arroser, il est indispensable de les revivifier. Pensez par exemple à organiser des dîners souvenirs entre amis, à renouer avec vos meilleurs copains d’enfance ou d’études, et prenez également le temps de mettre à jour vos albums photos ».

Déposez ceux qui font mal. Pour les souvenirs très douloureux, précise le psychothérapeute, « n’essayez surtout pas de vous en débarrasser en les refoulant ou en les enterrant, ce qui reviendrait à nier une partie de vous-même ». 

L’invitation de Patrick Estrade

Son invitation se poursuit dans un exercice dans lequel il propose de déposer les souvenirs plutôt que de chercher à les nier ou à les enterrer. Cela peut se faire en les écrivant. Je vous renvoie au podcast « Rendez-vous avec vous-même » dans lequel je développe l’intérêt du Cahier de Vie pour l’écriture intime.

Patrick Estrade invite à écrire ses souvenirs, à demander à un proche d’en être le dépositaire. Il est également possible de les écrire pour les relire en son temps, de les écrire avec différentes phases d’exercice pour s’en enrichir à sa guise.

À ce stade, nous avons défini le passé. À présent, prenons le temps de nous arrêter sur le futur.

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2) Le futur

Je vous rappelle que la définition suivante est aménagée et inspirée de la définition du passé proposé par le dictionnaire Larousse : ensemble des faits, des événements qui auront lieu après le moment présent, la période actuelle et qui constitueront l’histoire (autrement dit, le passé). 

Le futur est donc aussi simple que ça à définir. Nous n’avons pas la main mise sur ce dernier. On peut uniquement se projeter dans ce que l’on pourrait vouloir vivre. On peut imaginer les événements dans lesquels on voudrait se trouver ou être en attente de ceux qui se dérouleront et sur lesquels nous n’avons aucun contrôle. Il ne s’agit que d’une suite de projections sans existence réelle. Le futur est aussi vrai que le virtuel, en somme, c’est-à-dire faux. 

Intégrer que le futur n’existe que dans nos pensées nous rapproche de la peur qui, elle aussi n’existe que dans nos pensées. Or, si le futur n’existe que dans nos pensées, nous ne pouvons y vivre.  

J’en profite juste pour appliquer, même au présent, nous n’avons aucun contrôle sur les événements. Nous n’avons le contrôle que sur notre manière de vivre les événements.

3) le présent

Enfin, le présent se définit ainsi, avec ma définition, arranger à partir de celle du passé, tirer dans le dictionnaire, Larousse : ensemble des faits, des événements qui ont lieu à l’instant, pendant la période actuelle et qui constitueront l’histoire. 

Ce qui est assez déroutant, et nous nous arrêterons tout à l’heure, c’est que la définition du présent sous-tend clairement qu’il fait quasi-instantanément partie du passé. C’est là que Sophie vient avec sa question à laquelle je répondrai de manière plus explicite pour laquelle je place les fondements avant de donner une réponse précise.

J’ai trouvé intéressant de mentionner Paul Denis qui dit que « Le présent est, au jour le jour, le destin essentiel du passé, il est le résultat d’une élaboration psychique qui, à la fois, détache le sujet de ce qu’il vient de vivre et en garde l’élan ». Le présent serait donc le destin essentiel du passé. Cela veut dire qu’on est conscient de ce que l’on vit au présent va faire partie de notre archivage passé. Ce que nous vivons devient passé, alors même que l’on est en train de le vivre.

À présent, arrêtons-nous sur les missions de chacun de ces temps.

Trois temps, trois missions

1) Les missions du passé

1) La première mission du passé se vit dans la coulisse. Dans cette dernière, on va constituer une archive de ce qui s’est vécu. On est conscient, comme le mentionne Paul Denis, que cette archive-là participera au destin du passé tout comme, dans la mesure où l’on choisira que ce soit ainsi dans la construction du présent et de l’avenir. En effet, à partir du moment où l’on fait des choix au présent, ils impacteront notre avenir.

2) Une autre mission du passé est de permettre de créer des poids d’expérience. Qui dit, poids d’expérience signifie que l’on va se retourner vers le passé en se disant « je me souviens avoir vécu ça, j’ai vécu telles expériences, tels ressentis, tels succès, tels événements, tels échecs, telles difficultés, j’ai entendu, telles phrases ou telles manières de voir les choses, j’ai adopté telles croyances… Je vais donc pouvoir, si je le souhaite, me retourner vers mes archives pour voir si je peux utiliser ces données au présent ».

Une image parlante

Certains disent que « l’expérience, c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une seule fois ». Il y a du vrai, dans cette phrase. Pourtant, elle ne contient pas que la vérité,. L’allumette utilisée une fois peut servir une deuxième ou une énième fois. Peut-être ne servira-t-elle pas à la même chose que la première fois (on ne pourra plus l’allumer en la craquant sur la boîte d’allumettes, mais il sera possible d’allumer un autre feu en utilisant une allumette qui a déjà épuisé son stock de soufre.

Avec cette allumette qui a déjà brûlé, on pourra également construire des objets. On pourra utiliser des allumettes pour faire des toupies avec un noyau de litchi, comme le fait si bien ma belle-mère.

L’allumette ne sert qu’une seule fois, comme l’expérience ne sert qu’une seule fois, pour une chose pré-déterminée. Mais elle peut servir à d’autres choses ! C’est quand même intéressant de se le remémorer. « j’ai conscience que ce que j’ai vécu dans le passé ne peut pas me servir pour la même chose que ce à quoi elle m’a servi dans le passé ». 

Note d’ailleurs que, sur le plan rationnel, il n’est pas possible de revivre une expérience du passé. Toute expérience à venir ou présente est forcément nouvelle. Par conséquent, ma manière d’employer l’allumette tirée de l’expérience acquise sera forcément nouvelle au présent comme dans un potentiel avenir.

Une fonction éclairante 😉

3) La troisième mission du passé est d’éclairer pour mieux voir. En effet, grâce au passé, on peut mieux voir le présent ou l’avenir. En même temps, c’est un couteau à double tranchant. Pourquoi ? Parce que certains utilisent le passé pour mettre davantage d’obscurité au présent comme à l’avenir. Ils se disent « je m’empêcherai de vivre et de faire certaines choses étant donné que, dans le passé, j’ai vécu des expériences considérées comme négative. Il est hors de question que je revive quelque chose qui s’apparente à ce que j’ai déjà expérimenté ». Dans ce cas-là, on peut effectivement vivre les yeux fermés, dans une forme d’obscurantisme pour s’empêcherait au présent comme au futur, de vivre une (re)expérience de la peur, de la gêne, de la honte ou toute autre émotion désagréable.

On va plus loin ?

4) Une autre mission du passé est de pouvoir être convoqué au présent. J’ai choisi sciemment le verbe convoquer parce qu’en fait, on est dans une approche sélective. C’est comme quand on convoque un collègue ou un subalterne. « Viens, je te sollicite pour… ». On est vraiment conscient de faire appel au passé contrairement à d’autres moments où le passé ressurgit au présent avec une impression de le subir

Par la convocation, on pratique la pleine conscience. On choisi de donner rendez-vous à un événement passé au présent avec une mission spécifique.  

5) Une autre mission du passé est de confirmer les croyances acquises. À partir du moment où l’on a accepté de créer une nouvelle croyance, elle fait évidemment partie du passé. On cherchera ensuite à confirmer sa propre croyance parce qu’on a besoin de s’installer dans une cohérence. Je rappelle que notre cerveau déteste la cohérence. 

Notre démarche consistera donc à confirmer ce que l’on croit déjà et qui fait forcément partie de notre histoire, de notre passé, de nos expériences archivées. C’est une manière de redonner raison à notre croyance, chose qui peut être un obstacle pour apprendre une nouvelle manière de faire, de penser et d’adopter de nouvelles croyances. On a parfois l’impression que la nouvelle croyance qui s’ouvre à nous au présent pourrait mettre en péril la croyance acquise dans le passé.

6) Et puis, enfin, la mission du passé est de servir d’héritage, de legs, de ce que l’on a reçu de nos aïeux. Il peut s’agir de nos professeurs, de nos parents, de nos paires. Il s’agit également de ce que l’on va léguer au présent à nos ayant droit ; nos enfants, et ceux qui sont sous notre responsabilité, qu’elle soit éducative, culturelle, sociale, professionnelle, pédagogique, etc.

Missions à compléter

On a donc six missions du passé à votre disposition. Et je tiens à préciser que la liste est loin d’être exhaustive. Je vous laisse la compléter avec ce qui pourrait vous venir à l’esprit. Continuez ainsi à réfléchir aux missions du passé que je n’ai pas mentionné ici.

Retour sur la scène de la vie

Je rappelle l’image de la coulisse que j’ai mentionné tout à l’heure. Imaginez que vous êtes dans une salle de spectacle. Vous savez qu’il y a une coulisse dans laquelle se trouve les loges et tout ce qui se passe derrière le rideau. C’est le passé. Ensuite, il y a la scène sur laquelle se dérouleront les événements. C’est le présent. Et puis, il y a le script de l’auteur sur lequel on trouve des éléments déjà écrits et qui attendent qu’on les vive. C’est le futur.

Dans une tribune publiée dans le journal, Le Monde, la sociologue Eva Illouz observe que « si l’histoire est nécessaire pour comprendre le présent », donc quelque part, si le passé est nécessaire pour comprendre le présent, « l’histoire n’est d’aucune utilité en temps de crise ».

Même si cet article concerne la situation politique et économique, je trouve intéressant qu’elle puisse également concerner notre vie quotidienne. Parce que dans certaines situations de vie, nous sommes capables de ne pas utiliser le passé, d’en faire fi, refusant d’aller consulter les archives pour utiliser le poids de l’expérience ou l’éclairage acquis. On peut être à côté de soi en ne consultant pas les pages de sa propre histoire, chose que je trouve bien dommage.

2) Les missions du futur

Pour garder l’image de la scène, comme je l’ai évoqué un peu plus haut, on touche au script quand on parle du futur. Il a déjà été écrit par l’auteur de la pièce, du film ou autre et on va y entrer, ou mieux encore, participer à le créer. 

En effet, je ne veux pas donner l’impression d’un déterminisme existentiel. Nous créons notre vie au fur et à mesure que nous la vivons. Elle n’est en réalité écrite nulle part.

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1) Dans sa première mission, le futur nous sert d’aspirateur en nourrissant l’envie. Il nous donne envie de dérouler les choses, d’y entrer pour ce qui semble nous attendre. En réalité, rien ne nous attend. C’est nous qui interprétons les choses ainsi ;-). Il serait donc plus juste de dire que nous nous attendons à quelque chose qui ne nous attend nullement. 

2) La deuxième mission du futur est de devenir une aire de construction du présent à partir du passé. Le futur devient l’endroit dans lequel on pourra continuer à construire ce que l’on a commencé au présent.

Un peu de redite ne fait pas de mal

3) La troisième mission du futur est le lieu de l’expérience acquise. On a acquis une expérience dans le passé. On l’expérimente au présent avec la perspective de continuer à expérimenter, à tirer profit de ce que l’on a acquis. Je vous renvoie à l’image des allumettes.

4) C’est également dans la mission du futur que de confirmer les croyances acquises. D’ailleurs, vous verrez que, quel que soit le temps dans lequel on vit, on cherche à confirmer les croyances acquises. Comme je l’ai précédemment dit, notre ego a besoin de se référer à quelque chose qu’il connaît déjà sans quoi il a le sentiment d’être en difficulté. Or, s’il a acquis une croyance, il a besoin de s’y baigner, de s’y vautrer pour la valider encore et encore, refusant que cette dernière contienne des fragilités ou des incohérences. C’est lors des accidents de la vie que des questions piquantes permettent de remettre en question des croyances importantes. 

Mention scientifique

Je partage ici l’extrait d’une réalisée au CHU de Caen. « Bien qu’on l’imagine tournée vers le passé, la mémoire s’avère également profondément tournée vers le futur, en permettant à la fois de ré-expérimenter les événements de vie passée et de pré-expérimenter les événements à venir. La projection de soi dans le futur, également appelée « pensée épisodique future », constitue dès lors une habileté favorable au développement individuel, tant dans les capacités d’adaptation qu’elle permet que dans les objectifs individuels et identitaires qu’elle crée à long terme. Son socle épisodique la rend de fait sensible à toute altération de la mémoire, l’incapacité à mémoriser et à rappeler des événements du passé pouvant fortement altérer la capacité à imaginer des événements à venir ». Etude réalisée au CHU de Caen en service de Neuropsychologie et Imagerie de la Mémoire Humaine dirigée par Laura Charretier, Francis Eustache, Peggy Quinette dans science directe

Une réalité en béton armé

Cette étude met en évidence et résultat particulièrement intéressant. Quand on est dans la pensée épisodique future (une autre manière de parler du futur avec des termes de neuropsychologie) on entre dans des flashes futuristes. On ne peut pas vivre dans le futur, puisqu’il n’existe pas encore. On aura donc uniquement des flashes de projection qui seront vécus au présent, et uniquement au présent. De la même manière, le passé n’existant plus, quand on pense que l’on vit au passé, on se leurre. On vit au présent dans une remémoration du passé, mais uniquement en remémoration. On ne peut vivre qu’au présent.

3) Les missions du présent

1) D’ailleurs, la mission du présent qui se vit donc, cette fois-ci sur la scène (en lien avec notre image), non plus en coulisses ou sur le script « prédisant », ce qui sera vécu, on met alors en œuvre une action à partir du passé tout le temps en se tendant vers l’avenir. 

Quelque part, c’est une manière de dire que le présent est un temps de passage, une période hyper éphémère, ce qui rejoint ce que j’ai évoqué la semaine dernière dans le podcast qui a fait l’objet de la question de Sophie.

2) La deuxième mission du présent est d’expérimenter les croyances acquises. Bien entendu, vous vous y attendiez puisque je vous avais prévenu. On retrouve donc la volonté d’expérimenter les expériences acquises comme on les retrouve dans les autres temps dans le passé, avec le long rangement des expériences acquises.

3) La troisième mission du présent est d’expérimenter ce qui fait sens. On entre alors dans une quête de sens dans laquelle on a besoin de s’installer. Si on ne sait pas pourquoi, où dans quelle direction on va, on risque de perdre l’envie de vivre. 

Question d’héritage et d’héritiers

4) La quatrième mission du présent est de valoriser l’héritage. On veut que ce que l’on a reçu prenne de la valeur. Cela rejoint le point précédent qui consiste à chercher du sens à sa vie. On tient à ce que la vie prenne des couleurs et des dimensions différentes. Que le présent produisent des résultats supérieurs à ceux produits jusqu’alors.

5) Enfin, la cinquième mission du présent que je mentionnerai est de propulser l’individu dans le futur. Personne ne vit le présent en étant uniquement dans le présent. Il n’y a que dans l’expérience de pleine conscience que l’on se détache du futur en conscience parce qu’on choisit de vivre là, ici, et maintenant, dans l’instant présent. Mais si l’on vit en dehors de la pleine présence (que je préfère à la pleine conscience), on s’installe dans une forme de bascule vers le futur.

Posture dans le présent

Pour illustrer mon propos, je le ferai en vous demandant d’imaginer quelqu’un qui se tient debout. Si elle vit l’instant présent et qu’il est pleinement inscrit dans le présent, on verra que cette personne debout dans une véritable verticalité, même si elle avance, qu’elle marche.

Posture vers le futur 

Par contre, on pourrait illustrer une personne qui vit, et se propulser vers le futur, en cherchant à minimiser l’importance du présent ou à ne pas en profiter, en la faisant marcher, le buste penché vers l’avant. On pourrait avoir l’impression qu’elle tombe vers l’avant. On pourrait interpréter cette démarche comme une forme de fuite du présent. 

Posture vers le passé

On pourrait également visualiser cette même personne qui marche en se retournant en permanence, et peut-être même légèrement penchée vers l’arrière, avec une volonté de vivre dans la remémoration du passé.

Le présent est composé du présent et de l’actuel

Paul, Denis, dont j’ai mentionné le nom un peu plus haut, a écrit : « Il est important de distinguer le « présent » et l’ « actuel ». Le présent s’inscrit dans une durée – le moment présent, dit-on – l’actuel dans l’instant. Le présent prend un sens par rapport à ce qui précède et le suit. L’actuel apparaît isolé de tout passé intelligible et ne promet rien que lui-même. Une rencontre se vit au présent un traumatisme dans l’actuel. Le présent trouve et retrouve, l’actuel est un présent qui ne retrouve rien ». Paul Denis dansRevue française de psychanalyse 2001/3 (Vol. 65).

Je trouve cette mention de Paul Denis hyper enrichissante. Elle présente une claire nuance entre le présent et l’actuel. C’est la raison pour laquelle, dans l’actuel, on peut vivre une chose d’une intensité considérable, comme c’est le cas lors d’un traumatisme ou d’une activité hyper jouissive. On est forcément dans l’actuel, pas vraiment dans le présent, et qui peut-être plus ou moins éphémère, évidemment. Parce qu’il s’agit de lecture du présent, on est alors dans une situation hyper éphémère.

Un chamboulement légitime

Qu’est-ce qui chamboule Sophie et qu’il a poussé à me poser la question « est-ce que ça pourrait vouloir dire que le présent compte beaucoup moins, finalement ? ». En effet, si vous regardez bien ces trois temps, le passé dure plus longtemps comme le futur semble durer plus longtemps (dans notre mental) que le présent ou l’actuel ! Est-ce qu’une chose devient plus importante parce qu’elle dure plus longtemps ? La réponse est : pas forcément ou non. Une chose peut être très actuelle et être très importante en même temps. Nous venons de le mentionner avec le traumatisme.

Il peut donc y avoir quelque chose de très éphémère, très ponctuel et de traumatisant, qui a été suspendu dans le temps, n’ayant duré que quelques secondes, voir quelques minutes. C’est même événement valable pour quelque chose d’hyper jouissif que l’on peut vivre dans l’actuel, dans la pleine conscience du moment présent et qui peut compter énormément alors que c’est l’événement a été très éphémère, suspendu dans le temps.

Je comprends bien que cette nouvelle manière de voir le présent puisse te chambouler, Sophie, tout comme vous qui me lisez. Mais je ne pourrai pas dire que le présent comte moins que les autres temps (souvenez-vous du traumatisme ou de la situation hyper satisfaisante.).

Quel avantage à créer une hiérarchie des temps ?

D’ailleurs, je poursuivrai avec une question ; en quoi serait-il aidant de considérer que le passé, le futur ou le présent compte plus qu’un autre temps ? Sur quelle échelle pourrait-on se fonder ?

Cette question est inexplicable. La réponse est aussi complexe que le parcours de chacun. J’aimerais bien, personnellement, que l’on ne fasse aucune hiérarchie, n’attribuer en aucune priorité ou valeur supérieure au passé, au présent au futur. Il me paraît plus sage d’envisager que tous ces temps se valent afin de sortir de la tentative de donner davantage de valeur à l’un qu’à l’autre.

De la même manière, il serait sans fondement de dire qu’une fourchette a plus de valeur qu’une cuillère ou qu’une petite cuillère. Chacun se révèle davantage dans l’usage. Or, il en est de même pour les trois temps en question depuis le début de ce podcast. Nous avons la responsabilité de reconnaître la nature de chacun des temps pour les utiliser à bon escient. C’est bien à l’usage que nous reconnaîtrons leur valeur en utilisant leurs richesses.

Un usage responsable

Faire appel au passé peut être très utile, mais tout dépend de ce que l’on va en faire. Si c’est pour fuir le présent ou pour se réfugier dans les souvenirs et si dorloter, ça peut être nuisible. De la même manière, le futur peut être très utile. Mais s’il nous sert de lieu de fuite pour nous empêcher de vivre le présent ou pour oublier le passé, on en fait un mauvais usage.

En réalité, il nous incombe de choisir le passé, le futur et le présent pour en faire « bon » usage, dans le sens d’un usage bénéfique. Les utiliser ainsi dans leurs missions respectives permet d’augmenter la prise de conscience de nos choix, de notre expérience de vie pour vivre notre vie au mieux.

Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne semaine.

Bye-bye

5 commentaires

  1. Sacré article Pascal !

    En arrivant dessus, je ne m’attendais pas à ce contenu. Je ne savais pas à quoi m’attendre.

    Lire ces définitions que tu as faites, dans le but d’apporter plus de clarté et de cohérence, du passé-présent-futur-, m’a beaucoup parlé. Je comprends alors mieux la continuité, et l’interdépendance, ces ces 3 temps.

    J’ai tendance à le considérer comme une ligne de temps créé par l’ego pour se rassurer. Parce que c’est sa nature d’assurer la survie.

    J’apprécie aussi la fin, où tu appelles à de la sagesse. Pour vivre et non pas d’identifier à ce qui a été vécu, ce qui l’est ou ce que l’on envisage de vivre. Rester vertical si je te comprends bien. 🙂

    J’en lirais d’autres, des articles de ce blog !

    Merci pour cette valeur,

    Rahner.

    1. Merci Rahner pour ton commentaire.
      Découvrir que tu as appris bien des choses en écoutant ce que tu savais déjà, a priori, réjouis.
      Je t’encourage vivement à profiter de ton enrichissement pour rester aligné à ce que tu veux vivre.

  2. Je me rends compte que j’ai tendance à vivre certaines choses présentes dans le passé ou à sauter le passeé pour vivre le futur au présent. Je ne sais pas si c’est clair !

    1. C’est tout à fait claire, Sandra. Et ce genre de confusions, ou de fusions, plus proprement parlé, entraine des frustrations, de la mélancolie et autres émotions qui « gâchent » le vécu présent.
      Je t’invite à déménager pour vivre ici et maintenant tout en prenant en compte la richesse du contraste des temps.
      Imagine une histoire telle que celle du petit chaperon rouge sans les contrastes des temps présent, passé et futur ? Ce serait une énorme cacophonie incompréhensible. C’est-ce pas ce qui nous arrive quand nous fusionnons notre lecture des temps ?


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